Des impressions de lectures, en toute liberté, sur des ouvrages que j’ai aimés…
PRINTEMPS 2017
Un monde sur mesure de Nathalie Skowronek (Grasset)
Une plongée dans l’univers du shmattes, le commerce des vêtements exercé par les Juifs venus d’Europe de l’Est. Des tailleurs juifs de Pologne au e-commerce et à la mondialisation, Nathalie Skowronek nous raconte, à travers l’histoire de sa propre famille, celle de cette profession. A la fois saga familiale et regard sur un secteur socio-économique, ce roman m’a passionnée. Ils sont peu, les romanciers à s’être intéressés au commerce. On pense au Bonheur des dames, bien sûr. Mais dans Un monde sur mesure, il s’agit moins de la lutte entre boutiques et grands magasins que de l’évolution d’un métier et de ceux qui l’exercent. « Le shmattès yiddish allait bientôt disparaître » écrit l’auteure. Et avec lui, toute une culture.
L’ordre du jour d’Eric Vuillard (Actes Sud)
Première remarque : l’éditeur et l’auteur , contrairement à tant d’autres, ont écrit « récit » sur la couverture, et non « roman ». Voilà un gage d’honnêteté. Ce récit, donc, nous transporte dans l’Allemagne et l’Autriche de février 1933 à mars 1938. Cinq ans pour monter de toutes pièces l’engrenage qui mènera à la suprématie de l’Allemagne et à la guerre. A la fois grinçant et redoutablement efficace, Eric Vuillard qui est aussi cinéaste nous fait VOIR les petitesses, les lâchetés, les renoncements, l’aveuglement de ceux qui se laisseront séduire ou berner. Puissants industriels, hommes politiques : entre compromis et compromissions, ils sont les artisans complices de cette montée en puissance. En 160 pages acides, tantôt drôles, tantôt émouvantes, Vuillard fait la démonstration de son talent d’écriture et nous met en garde contre l’aveuglement.
Sise à Beaulieu sur mer, face à la Méditerranée, la maison des frères Reinach est un hommage à l’esthétique apollinienne. Adrien Goetz dont la culture artistique n’a rien à envier à celle de ses personnages lui a consacré trois ans de recherches. Il a choisi de guider nos pas sur les traces d’un personnage de fiction, Achille, le fils de la cuisinière de Gustave Eiffel, devenu un peintre reconnu. A travers la villa Kérylos, aujourd’hui propriété de l’Institut de France, Adrien Goetz réussit, chose difficile , à tisser ensemble l’érudition, l’humour et l’intrigue : triple plaisir pour le lecteur. (d’après mon article dans le Magazine littéraire de juin 2017).
Magnifique couverture pour ce roman de « la femme au portrait », la belle Adèle Bloch-Bauer peinte par Gustav Klimt. Valérie Trierweiler dont c’est le premier roman a recréé avec talent le Vienne du début du vingtième siècle, à la fois foyer de toutes les audaces artistiques et culturelles, et capitale encore engluée dans les règles de l’empire austro-hongrois. Adèle appartient à la riche bourgeoisie juive – une « seconde société » enviée mais tenue à distance par l’aristocratie. Que s’est-il passé exactement entre le peintre et son modèle ? Valérie Trierweiler dépeint avec finesse et sensibilité les affres de cette jeune femme en mal d’enfant, épouse comblée mais attirée par Klimt, dont les nombreuses liaisons font scandale. Le style efficace, sans fioritures, évoque par moments les biographies de Françoise Giroud. Plutôt qu’y chercher comme certains journalistes des traces autobiographiques ou la révélation de ses propres sentiments (elle a déjà donné !) savourons ce roman de Valérie Trierweiler sans arrière-pensée.
(à suivre : Virginie Despentes)
Continuer la lecture de Carnet de lectures →