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Prix Céleste Albaret

9782234075696-J-V03.inddPrix Céleste Albaret

 

Le Prix Céleste Albaret a été attribué à mon livre Une jeunesse de Marcel Proust. C’est une grande joie pour moi. Ce Prix représente le couronnement de ma recherche sur le questionnaire – autant dire de plusieurs années de travail.

Le Prix Céleste Albaret, créé par l’Hôtel Littéraire le Swann et la Librairie Fontaine Haussmann avec le concours de l’association Cocktail & Culture, vise à récompenser chaque année un ouvrage qui évoque de façon périphérique Marcel Proust, sa vie et son époque. La sélection des ouvrages finalistes est réalisée par le Comité de Lecture des Librairies Fontaine et les membres du Jury (Jacques Letertre, Mireille Naturel, Michel Erman, Jean-Paul Enthoven, Laure Hillerin, Jürgen Ritte et Philippe Berthier, lauréat 2017)

Il a été remis le mercredi 12 septembre à 19h à l’hôtel Le Swann, 15 rue de Constantinople Paris 8ème.

Le discours du lauréat précédent, Philippe Berthier, grand spécialiste du 19ème siècle :

« Chère Évelyne Bloch-Dano,

vous n’êtes ni une inconnue ni une débutante en Proustie. En 2004, vous avez publié une biographie de Madame Proust, celle dont Marcel attendait le baiser pour pouvoir s’endormir. Cet ouvrage a été couvert de prix, à juste titre. Aujourd’hui vous nous revenez avec un livre très original sur quelque chose qui, a priori, ne le semblait guère : le (trop ?) fameux questionnaire-de-Marcel Proust, dont vous écrivez plaisamment que, devenu une tarte à la crème pour magazines, on pouvait l’écrire en un seul mot. Mais de quoi parle-t-on exactement ? Vous rappelez fort utilement qu’il y a non pas un, mais deux questionnaires auxquels Marcel a répondu. Et même trois, comme va nous le révéler le scoop du Dr Reiner Speck, Président de la Proust Gesellchaft, que nous avons plaisir à saluer amicalement.

Donc, un questionnaire (abusivement dénommé souvent le questionnaire) : il s’agit d’un album acheté chez Galignani par ou pour la jeune Antoinette Faure – une des filles du futur Président de la République-, album anglais rousseauiste intitulé Confessions et sous-titré « An Album to Record Thoughts, Feelings and &c … ». Les questions sont évidemment rédigées en anglais. – Et un second questionnaire révélé par André Maurois en 1949, et recueilli dans un cahier intitulé Les Confidences de Salon. Ce second album a été la propriété de la nièce de Marcel, Madame Mante-Proust, exposé à la Bibliothèque Nationale en 1965, puis semble avoir disparu. Où est-il ?

De toutes façons, ce n’est pas lui qui nous intéresse, mais bien les Confessions, retrouvées en 1924 dans une malle reléguée au grenier par André Berge, fils d’Antoinette Faure et futur psychanalyste. Vendu aux enchères en 2003, il a été acquis par une grande société de prêt-à-porter où vous aviez par bonheur des intelligences amicales, grâce auxquelles vous avez pu étudier et radiographier le document en toute liberté. Avant vous, sauf erreur de ma part, personne n’avait pu feuilleter les 41 réponses qui encadrent celles de Marcel. Vous les avez étudiées en détail et, ce faisant, vous ressuscitez tout un monde, au fil d’une enquête parfois quasi policière.

Vous restituez l’univers dans lequel se meut l’attachante famille Faure, venue du Havre dans la capitale pour suivre la carrière politique de son chef, député de la Seine alors inférieure. Vous reconstituez avec précision le réseau dans lequel elle évolue, et qui la prédestine en quelque sorte, par la proximité géographique près du parc Monceau et par de fortes affinités sociales et intellectuelles, voire politiques, à nouer des liens avec la famille Proust. Ce qui amènera tout naturellement Marcel à jouer avec Antoinette aux Champs-Élysées comme plus tard le narrateur avec Gilberte.

Vous avez pris la peine de remonter aux sources, c’est-à-dire de vous rendre au Havre, et, dans la ville méconnaissable d’aujourd’hui, vous avez erré en somnambule, reconstituant en imagination le décor qui avait été celui des premières années d’Antoinette et de sa sœur Lucie. Votre enquête vous permet d’établir que c’est le dimanche 4 septembre 1887, au Havre, où Antoinette avait invité ses amis à l’occasion de l’Exposition Maritime Internationale, que Marcel a répondu au questionnaire. Il a 16 ans et, après avoir redoublé la Seconde à cause de ses problèmes de santé, il s’apprête à entrer en classe de Rhétorique. Autour de lui, tout un groupe amical, surtout des jeunes filles, quelques garçons. Vous avez essayé de les identifier, ce qui n’était pas chose facile. Beaucoup de réponses sont anonymes, ou signées illisiblement.

Mais vous avez un flair rare : devant la graphie inconnue de certaines réponses particulièrement anticonformistes, vous avez intuitivement songé à Daniel Halévy, et vous êtes allée consulter le manuscrit de son Journal : non, l’écriture on était toute différente, ce ne pouvait être lui. Mais, ô récompense du détective : dans une marge, vous tombez… sur la même écriture que celle du questionnaire, et tout s’éclaire : bon sang, mais c’est bien sûr ! Il s’agit de Robert Dreyfus, à qui son ami Daniel permettait de lire son Journal, et réciproquement.

Finalement, c’est une vingtaine de notices que vous avez pu rédiger, sur les participants au jeu, tous liés au Havre, toute une petite société à laquelle vous redonnez vie avec beaucoup de délicatesse. Qu’est-ce qu’être une jeune fille de la bonne bourgeoisie à la fin des années 80 ? Vous en dressez un portrait nuancé qui sonne juste. Les réponses sincères aux questions indiscrètes, ou le refus d’y répondre, ou les réponses délibérément à côté, dessinent tout un paysage où le plus intéressant est évidemment dans les écarts ou dissonances, qui viennent déplacer les lignes de la bien-pensance dans cette génération et dans ce milieu. Tous ces traits se retrouveront dans la Recherche, disséminés entre les amies de Marcel, à Balbec et Paris.

Mais l’essentiel, c’est forcément Marcel lui-même, saisi un âge de transition, encore attaché par toutes sortes de liens à la famille et à l’enfance, mais déjà en partance vers des horizons plus singuliers. Il ne s’agit pas de détecter à tout prix les indices d’un génie futur, mais de relever des inflexions par rapport au programme attendu des réponses à cette époque-là et dans ce monde-là. Toute cette jeunesse privilégiée reçoit à peu près la même éducation, mais la personnalité perce aux yeux de qui connaît la suite. En filigrane, et avec tout ce que nous savons du Marcel ultérieur, nous observons dans ses réponses les doutes, les tourments, les questionnements sur soi d’une personnalité en gestation. Pour parler comme Mauriac, « un adolescent d’autrefois ».

Ces recherches précises, servies et enrichies par des analyses finement emphatiques, suffiraient à donner du prix (ou pas seulement le prix Céleste Albaret !) à votre ouvrage, mais il a aussi, in fine, une autre dimension à laquelle j’ai été très sensible : déjà le titre le laissait pressentir : « Unejeunesse de Marcel Proust » (et non pas l’article défini). C’est dire que vous ne vous proposez nullement d’offrir un récit biographique objectif. Vous revendiquez un fort coefficient de subjectivité, de rêve (une jeunesse telle que vous l’imaginez) et d’investissement personnel, comme le confirme votre dédicace : « Aux jeunes filles que nous étions. » Ce nous vous inclut dans la troupe qui entoure Antoinette Faure et donc fait de vous une camarade de Marcel. La dérive autobiographique reste discrète mais affleure nettement qui d’ailleurs ne conclut rien, mais s’ouvre sur la mer vue depuis la digue de Balbec. En partant à la recherche du temps perdu de Marcel, vous êtes aussi forcément partie à la recherche du vôtre, comme chacun de ses lecteurs, et nous comprenons que cette enquête sur un autre était en somme une manière élégante et pudique de répondre vous aussi au questionnaire. »

Philippe Berthier

Le film de la soirée comme si vous y étiez :