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Lettre à mon petit-fils qui vient de naître

Samedi 2 mai 2020

 Mon petit Noah,

 Tu es né il y a quatre jours et quatre nuits. Tu portes le nom d’un homme qui durant quarante jours et quarante nuits fut ballotté sur les flots d’un déluge engloutissant la terre. C’est pur hasard, ce prénom, choisi par tes parents bien avant cette histoire d’arche dans laquelle nous sommes à notre tour enfermés. Un jour, mon petit Noah, on te racontera ce moment unique de l’histoire des hommes. Tu es arrivé dans notre ciel comme la colombe tenant dans son bec un rameau d’olivier. Dans quelques jours, nous allons pouvoir sortir un peu plus librement, nous promener, regarder autour de nous avec des yeux neufs. Pendant que tu étais dans le ventre de ta maman, bien des choses ont changé, tu sais. Nous ne pouvons plus embrasser nos amis ou leur serrer la main, nous ne pouvons plus aller et venir librement, sans crainte. Oui, pendant que tu étais bien au chaud dans cette bulle, nous avons appris la peur, la méfiance. La mort rôde autour de nous. Nous devons nous tenir éloignés les uns des autres. Nous pensions que ces épidémies appartenaient aux pays lointains ou au passé, et voici qu’on les vit au présent et chez nous. Certains portent déjà des masques et on ne peut même plus les voir sourire. Malgré tout, j’ai entendu cette chose extraordinaire : un tout petit bébé, même si on lui sourit avec un masque, le devine à nos yeux et sourit en retour. Pour l’instant, nous ne pouvons pas encore te voir, te prendre dans nos bras, déposer un baiser sur ta petite main. Ton papa a pu assister à ta naissance car c’était la nuit mais il a dû partir tout de suite après. Comme nous, il lui a fallu se contenter de petites vidéos. Drôle d’histoire ! Te voilà déjà filmé alors que Tual, ton petit frère de deux ans, est interdit d’écran. Tout est à l’envers, mon petit Noah. On marche sur la tête !  Mais tu es vite rentré avec ta maman dans ta maison et te voilà sur le canapé, tétant le sein en poussant des petits grognements de plaisir. Parfois, tu perds le téton, et tu t’énerves, pas content. Oui, nous sommes comme ça aussi, il faut bien le dire. Nous étions dans notre vie, plus ou moins agréable selon les personnes, et il a fallu s’habituer à nous passer de certaines choses dont on ne s’apercevait même pas qu’elles faisaient notre bonheur. Et maintenant qu’elles sont supprimées peut-être pour longtemps, on y pense avec nostalgie ! Je trouvais que je voyageais trop et aujourd’hui, je fais des listes de pays où j’aimerais aller, des pays du nord, je ne sais pas pourquoi.

Tu t’es endormi, un peu de lait coule encore de ta bouche, tu es repu, tout rose comme un porcelet, tu souris aux anges. Je ne te vois pas mais je sais que tes menottes bougent encore un peu. Ton petit corps est tout mou. Je me dis que tu vas grandir, apprendre à marcher et à parler. Tu vas vouloir prendre les jouets de ton frère, tu vas faire des colères, tu vas demander des câlins, tu vas découvrir les fleurs, les oiseaux, les petites bêtes, les mouches et les papillons. Et aussi, les voitures, les camions, les motos, tout ce qui fait du bruit et bouge vite. Tu vas courir, tu vas tomber et te relever, on soufflera sur le bobo et ça ira mieux. Tu repartiras sur tes petites jambes et tu riras aux éclats.

Après le déluge, nous raconte la Bible, Dieu proposa un signe d’alliance à Noé et à ses descendants, l’humanité nouvelle : ce serait l’arc-en-ciel, ce merveilleux prime de couleurs qui vient au soleil après la pluie. Cher petit Noah, je ne sais pas quel sera le monde d’après. Certains pensent qu’il sera meilleur, que nous tirerons les leçons de cette épidémie. Je n’y crois guère mais espérons. Saurons-nous protéger notre terre ? Dans quel monde vivrez-vous ton frère et toi, quand vous serez adulte ? Noé, lui, s’installa sur une terre et cultiva la vigne. N’est-ce pas une belle image ? A ta santé, petit Noah, Le Haïm, à la vie !